Jean-Marie Harribey : contre la « finance hors-sol »

A l’occasion du G20 de Pittsburgh, ATTAC Sciences Po a invité Jean-Marie Harribey, co-président d’ATTAC France, pour discuter des modalités d’une sortie de crise autre que le statu quo proposé par nos dirigeants. L’occasion de se faire connaître de la communauté étudiante, une semaine avant la reconnaissance des associations !

 Les rouages de la crise

Jean-Marie a commencé par revenir sur les causes fondamentales de la crise. Au-delà de la multiplication des innovations financières depuis une trentaine d’années, il a mis l’accent sur l’évolution du taux de profit depuis les Trente Glorieuses.
A la fin des années 1960, celui-ci a chuté de moitié, ce qui a déclenché un retournement brutal des politiques économiques, au travers de trois séries de mesures : une libéralisation du mouvement des capitaux ; l’instauration de politiques néolibérales à partir de 1979 ; et la baisse du coût du travail, par une déconnexion des salaires et du rythme de la productivité du travail, et un laminage de la protection sociale.
La restauration du taux de profit ne s’est pas faite attendre, synonyme d’une baisse considérable de la part des salaires dans la valeur ajoutée, de l’aveu même du FMI ou d’Eurostat. Mais la nouveauté consiste en ce qu’elle ne s’est pas accompagnée d’une restauration des investissements, l’essentiel des profits restaurés allant aux actionnaires sous forme de dividendes. Croissance molle, explosion des inégalités et spéculation outrancière en résultent.

Comment cela a-t-il dégénéré ? Jean-Marie a pointé l’orthodoxie de façade des banques centrales, et en particulier de la BCE. Sa politique de contrôle de la croissance de la masse monétaire est concentrée sur l’économie productive, via la lutte contre l’inflation, tandis qu’aucun frein n’est mis à la spéculation financière ; l’objectif de 4,5% de progression de la masse monétaire est ainsi largement explosé.
Cette spéculation débridée mène aux pires aberrations : des entreprises rachètent ainsi leurs propres actions, pour augmenter leur rentabilité. C’est donc un nouveau type d’inflation sur les actifs financiers qui a mené à la bulle que l’on connaît.
Deux grilles d’analyse sont à notre disposition pour le comprendre. La première nous vient de Marx. Ce dernier expliquait que la source de toute augmentation du capital financier était la hausse du capital productif (A-P-A’) ; l’erreur du capitalisme consiste à croire que la capital peut augmenter par lui-même (A-A’). C’est cette illusion qui a mené au développement de ce que Jean-Marie appelle la « finance hors-sol » ! La seconde grille d’analyse est celle de Keynes, qui a mis au jour le problème de la liquidité : si tous les investisseurs cherchent à récupérer leur mise au même instant, le système financier fait faillite, car il repose sur des richesses fictives.
Ces explications sont nécessaires à une bonne compréhension de la crise actuelle. Jean-Marie a ainsi relevé la stupidité d’un numéro du Monde, qui titrait au sujet de la crise des subprimes : « 25 000 milliards de dollars évanouis ». En effet, cette somme correspondait à une bulle spéculative sans existence réelle. C’est aujourd’hui qu’a lieu la destruction de richesse, du fait de la baisse des investissements et de la récession qui en découle. Mais les marchés financiers sont un jeu à somme nulle, ce qui implique par exemple que les fonds de pension ne constituent pas à un système viable de financement des retraites.

 Quelles solutions y apporter ?

La suite de la conférence portait sur les décisions du G20. La plus médiatique mais aussi la plus superficielle d’entre elles concerne les fameux bonus. Outre son hypocrisie, la volonté d’établir un lien entre rémunération et résultats des traders n’est qu’une légitimation des profits financiers réalisés sur le dos des travailleurs. Mais la portée principale de ce sommet consiste en l’institutionnalisation du G20 en tant que « gouvernement économique du monde », dont le FMI sera le régulateur ; or ces deux organes n’ont aucune légitimité. Le premier met à l’écart 170 pays au rang desquels figurent les plus pauvres ; le second, malgré une légère modification de ses quotas, n’a pas remis en cause la logique de ses plans d’ajustement structurels, qui asphyxient les économies des pays en difficultés. Enfin, les dirigeants des vingt économies les plus puissantes de la planète ont réaffirmé leur attachement à la libéralisation des marchés par un appel à la conclusion du cycle de Doha ; il s’agirait d’un pas supplémentaire dans la marchandisation du monde.


Mais le G20 de Pittsburgh s’est surtout distingué par ses silences.
En premier lieu, la lutte contre les paradis fiscaux a été abandonnée : il a suffi à ces derniers d’échanger des informations entre eux pour ne plus figurer sur la liste noire ! Il reste donc une multitude de pays par lesquels les fraudeurs du fisc pourront transiter. Deuxièmement, aucune réforme du système financier n’a été envisagée : ni la confusion des banques de dépôt et des banques d’affaires, ni la titrisation, ni les hedge funds, ni les marchés de gré à gré… n’ont été remis en cause. Enfin, l’on est loin de l’instauration d’une taxation des transactions financières. Outre le fait que la proposition n’ait pas été retenue, la « taxe Tobin » proposée par Bernard Kouchner serait volontaire et son taux serait de 0,005% : les financiers peuvent dormir tranquilles !


Face à cette mascarade, ATTAC met en avant des propositions fortes.
La première consiste en la socialisation du secteur bancaire et financier. La seconde, en l’instauration d’une véritable taxe sur les transactions financières, qui ne concernerait plus seulement les transactions de change, et permettrait un financement mondial à la hauteur de la défense des biens publics mondiaux. Il apparaît également comme une urgence de réduire les revenus financiers et les inégalités qui en découlent ; seul l’instauration d’un revenu maximum au travers d’une fiscalité élevée permettrait d’atteindre un tel objectif. Attac propose de placer les biens publics mondiaux, les services publics et la protection sociale hors des mécanismes du marché ; c’est tout l’enjeu du sommet de Copenhague, qui sera l’un des axes de campagne principaux d’Attac au cours du prochain trimestre. Enfin, il devient urgent de s’interroger sur une bifurcation radicale de notre économie, et d’abandonner le modèle productiviste dont les dégâts sont des plus en plus flagrants.

Envie d’aller plus loin ? Les travaux et ouvrages de Jean-Marie Harribey sont disponibles sur son site, http://harribey.u-bordeaux4.fr/
Pour en savoir plus sur les propositions d’ATTAC France à l’occasion du G20 de Pittsburgh : http://www.france.attac.org/spip.php?rubrique1150