L’affichage, plus communément appelé « rage du collage »

On n’est pas des sauvages !

Techniques de conception d’affiches et stratégies de collage

Par David Cena

A Aix en Provence les panneaux d’affichage gratuit sont rares. Au centre on n’en trouve d’ailleurs qu’un seul, en haut de la rue Bédarrides. Ou plutôt on n’en trouvait qu’un, puisque des inconnus l’ont récemment arraché, cassé ou scié jusqu’à ce qu’il n’en reste qu’un morceau au sommet, comme vous pouvez le voir sur la photo ci-dessous

On y avait mis une très grande affiche pour la première fois environ dix jours auparavant ; des gros malins ont essayé de l’arracher mais ils s’y sont cassé les ongles. Ils ont alors collé une feuille brune sur le bas de l’affiche pour la cacher, mais le sommet était trop haut pour eux et il nous a suffi de coller à nouveau la partie inférieure dès le lendemain. J’imagine que détruire le panneau est la seule solution qu’ils aient trouvée, bien qu’il soit très facile de coller en dessous comme on l’a fait. Ce genre de mesquineries est le fait de quelques désoeuvrés qui sont tout à fait inoffensifs malgré les apparences. En une année de collage intense à toutes les heures du jour et de la nuit je ne me suis jamais senti en danger un seul instant alors que j’étais seul la plupart du temps. Parfois des gens un peu hostiles vous accostent mais il suffit de ne pas jouer leur jeu pour qu’ils perdent contenance très vite, se sentent ridicules et s’en aillent d’eux même.

Ceux qui lancent une remarque en passant ne méritent pas la moindre attention ; les chiens aboient, la caravane passe ! Par contre quand ils s’arrêtent pour me parler je leur réponds poliment et calmement en leur montrant que je ne demande qu’à discuter dans un esprit de respect mutuel. S’ils élèvent le ton, me coupent systématiquement la parole ou deviennent grossier je leur dis tout simplement que je ne parle pas aux gens malpolis, ça les désarme complètement. Quelques-uns essaient délibérément de faire de l’intimidation ; dans ce cas la meilleure contenance à prendre est un équilibre délicat entre l’indifférence et un léger amusement, mais en faisant attention de ne pas tomber dans le sarcasme. Les fiers à bras se dégonflent très facilement mais il faut absolument éviter de leur faire perdre la face. Dans toutes les situations la meilleure façon d’éviter ce genre de difficultés est d’organiser efficacement les collages. D’abord il suffit d’être deux pour que personne ne vienne s’y frotter. Ensuite il vaut mieux coller le jour, ça permet de mieux passer inaperçu en se fondant dans la masse. Pour le reste tout dépend de comment vous collez et surtout où !

AFFICHAGE SAUVAGE ET AFFICHAGE LEGAL

Le militant d’Attac est par définition un bon citoyen, forcément respectueux des lois, règlements et arrêtés municipaux en vigueur. Il paraît donc inconcevable qu’il en vienne à transgresser les règles émises par les élus du peuple souverain. Quand il y a des puissants et des faibles c’est la loi qui libère et la liberté qui opprime, n’est-ce pas ? D’ailleurs la législation impose aux municipalités d’offrir un certain nombre d’emplacements réservés à l’affichage gratuit pour les associations dans les centre villes, avec une surface et une répartition définies précisément. Mais -le croirez-vous ?- la plupart des maires ne respectent pas cette obligation légale ! D’ailleurs à Aix les seules « sucettes » mises à disposition sont reléguées sur le boulevard qui fait le tour du centre historique et sur le campus devant l’entrée des facultés. Sauf qu’en fait « d’affichage associatif gratuit » ce sont les organisateurs de concerts et de spectacles qui monopolisent l’espace en payant un gars pour qu’il colle leurs grandes affiches en couleurs et papier glacé sur toutes les sucettes de la ville. Il repasse tous les matins pour décoller les affiches des autres ou recoller les siennes par-dessus. Du coup même en passant à deux heures du matin on est sûr que tout aura disparu le lendemain.

La seule parade c’est d’y aller juste après lui, entre 7h et 8h, pour décoller ses affiches encore toutes mouillées. Une fois qu’elles sont sèches c’est trop tard parce que le papier est plastifié, donc imperméable. Les nôtres par contre sont en papier normal, il suffit de les mouiller pour qu’elles se détachent sans problème et d’ailleurs le collègue ne s’en prive pas. On a discuté une fois où il m’a surpris en train de recoller son affiche, je lui ai dit que chacun devait pouvoir utiliser l’espace, qu’il y en a bien assez pour tout le monde et ça s’est très bien passé. Il aurait pu revenir la décoller 10 minutes après mais il n’en a pas profité. Ce qui prouve qu’on peut s’entendre même quand on a des intérêts complètement opposés ! J’ai d’ailleurs laissé des petits mots pour lui proposer qu’on colle chacun une semaine sur deux, mais ça n’a pas marché. En fin de compte le résultat est assez spectaculaire puisque nos affiches sont visibles tous les jours de semaine devant l’IUT et les facultés de droit et d’économie. Ce sont plusieurs milliers d’étudiants et de passants qui l’auront vue. Sa taille et sa couleur blanche attirent inévitablement le regard, et malgré les nombreuses critiques qu’on m’a faites sur le texte il semble que le procédé soit d’une efficacité redoutable. Même si presque personne ne lit la partie inférieure, on peut toucher tout le monde ; ceux qui ne voient que le logo finissent par se demander ce que veut dire ce pourcentage qu’on voit partout, ceux qui ne lisent que le titre saisissent le message d’ensemble et voient qu’une argumentation élaborée est fournie.

Alors comment s’offrir de telles affiches pour un prix raisonnable ? N’importe quel magasin de photocopies digne de ce nom dispose d’une machine capable de diviser une feuille A4 pour ensuite agrandir chaque 9ème au format A3. Il suffit ensuite de copier chaque partie de l’affiche 50 fois pour obtenir 50 affiches de 1m20. Attention à ce que les différentes parties s’ajustent bien entre elles sinon c’est infernal au moment de coller. Après avoir coupé à la machine les marges de droite ou de gauche il est facile de les coller une par une, de gauche à droite ou de droite à gauche selon le côté où vous avez laissé la marge. A chaque fois que vous collez il faut passer une fine couche de peinture blanche à l’aérosol avant d’apposer la colle, ainsi le professionnel avec qui vous rivaliserez inévitablement recollera par-dessus la vôtre plutôt que de la décoller comme il l’aurait fait si son affiche avait été toujours visible en dessous. Ensuite il ne reste qu’à passer dans l’heure qui suit pour décoller ses affiches avant qu’elles ne sèchent, ce qui évite de coller tous les matins. A Aix mon rival fait toujours sa tournée autour de 7h00, mais c’est sûrement différent ailleurs. Voila pour ce qui est de l’affichage sur les sucettes. J’admets qu’il faut vraiment être un acharné pour le faire comme je l’ai décrit, et j’imagine que peu de gens seront assez motivés par le collage pour se lancer dans un délire pareil. Moi-même je l’ai fait dans l’espoir que le colleur professionnel me laisserait afficher une semaine sur deux une fois qu’il aurait compris que ses affiches seraient systématiquement recouvertes tant qu’il n’accepterait pas de négocier. Au bout de trois semaines ça n’a toujours pas marché et il semble que cette concurrence soit inévitable puisque de toute façon mon rival est payé pour passer tous les matins. Il s’agit maintenant de trouver une solution en négociant avec lui ou en prévoyant de ne coller que quelques jours par mois.

« POURQUOI SE DONNER TANT DE MAL ? » s’interrogera inévitablement toute personne normalement constituée dont le temps libre est une ressource rare. Parce que l’affichage est le seul moyen d’expression dont nous disposions pour nous adresser à l’immense majorité des gens qui n’ont jamais entendu parler d’Attac. Tant que les médias de masse seront contrôlés par des marchands de canons et des magnats des travaux publics il ne faudra pas espérer y avoir accès. En tant qu’association pour la citoyenneté Attac doit aussi attirer l’attention des électeurs sur ce qui est ignoré ou traité trop vite par les journaux télévisés des chaînes à grande écoute. Quoi qu’il en soit une organisation comme la nôtre a besoin de mettre en place une stratégie de communication tournée vers le grand public sous peine de finir par ne s’adresser qu’à ses propres adhérents convaincus depuis longtemps.

Le fait de s’exprimer par affichage a aussi une signification politique : les citoyens s’adressent aux citoyens directement sans que le message passe au filtre du pouvoir et de l’argent. C’est aussi une façon de montrer qu’Attac est une association vivante et dynamique qui a assez de militants motivés pour fournir un travail important. De « c’est pas nous qui allons changer le monde » à « un autre monde est possible » il y a un gouffre aussi large que des paroles aux actes, et tout le défi consiste à le franchir.

Maintenant imaginez que dans tout le pays les messages d’Attac apparaissent en grand sur les emplacements d’affichage légal et s’y maintiennent, est-ce qu’on n’aurait pas déjà fait beaucoup changer le paysage ? Le bouche à oreille est la meilleure façon de nous faire connaître et le jour où nos affiches seront incontournables les gens en parleront inévitablement parceque ça fera partie de leur quotidien. C’est une chance formidable qu’on a de se faire remarquer et de se démarquer des organisations politiques classiques, alors saisissons-la ! Tout repose sur la motivation individelle de chacun d’entre nous mais il n’y a que collectivement qu’on pourra faire quoi que ce soit. L’essentiel est de renforcer la coordination pour créer une émulation qui nous motive à envisager des objectifs ambitieux. C’est sûr qu’un autre monde est possible MAIS A CONDITION QU’ON SE METTE AU BOULOT !

L’AFFICHAGE...DISONS...EXTRA LEGAL.

Coller du papier en dehors des endroits prévus à cet effet est interdit par la loi et durement réprimé par des arrêtés municipaux qui prévoient des amendes astronomiques pour les contrevenants. Or lors de mes expéditions j’ai été pris sur le fait à trois reprises par la police municipale. A chaque fois j’ai reconnu mes torts en expliquant qu’on ne colle que sur les endroits où il y a déjà d’autres affiches, ce qui évidemment ne justifie rien au niveau légal mais permet de montrer qu’on évite autant que possible de porter atteinte aux biens des honnêtes gens. La meilleure façon de s’en tirer c’est de baisser la tête, obtempérer docilement quand ils demandent les papiers, reconnaître ses torts, respecter leur autorité et ne pas les prendre pour des idiots avec des excuses bidon ou des histoires à dormir debout. En général ils n’ont aucune envie de donner une amende à des jeunes pacifiques qui leur manifestent un minimum de respect et ne font de mal à personne, c’est tellement rare ! De cette façon je m’en suis toujours sorti avec un simple rappel à la loi et une petite leçon de morale plutôt rafraîchissante dans ce monde rongé par la corruption. Toutefois c’est quand-même un mauvais moment à passer et il serait fâcheux de tomber deux fois de suite sur le même gardien de la paix. La meilleure parade c’est de mettre la colle dans des bouteilles en plastique qui rentrent facilement dans des sacs, c’est plus discret que de se promener ostensiblement dans les rues avec un seau et une brosse. Surtout il faut savoir que les policiers feront semblant de ne pas vous voir autant qu’ils le pourront ; en regardant un peu autour de soi et en anticipant les rencontres embarassantes chacun peut partir de son côté sans perdre la face. En tout cas le système des bouteilles marche bien : c’est pratique, discret et on n’a jamais le moindre problème depuis qu’on l’utilise.

OU COLLER ?

A Aix on en a mis partout où il y en avait déjà, c’est-à-dire sur les transformateurs électriques, les portes de service, les vitrines de magasins qui ont fermé définitivement et les lampadaires.

COMMENT COLLER ?

Une bonne base de collage doit être solide et stable. Arrachez les affiches qui sont déjà en place si elles sont assez anciennes pour que ce soit faisable. Il vaut mieux le faire soi-même plutôt qu’un autre en profite plus tard pour arracher ce que vous avez collé. Pour rendre une affiche invulnérable il faut de la colle bien concentrée mais assez liquide pour imbiber complètement le papier. Une couche supplémentaire par dessus en débordant sur le support permet de littéralement la vitrifier ; il est alors totalement impossible d’en détacher un seul millimètre carré une fois que c’est sec.

QUELLE COLLE UTILISER ?

Il est paraît-il possible de faire de la colle écologique et bon marché en versant simplement de la farine dans l’eau. On n’a pas encore essayé mais c’est au programme. En tout cas la colle pour tapisserie qu’on trouve chez M. Bricolage fait très bien l’affaire.

COMMENT FAIRE POUR AFFICHER SANS COLLER ? Si personne n’est assez acharné pour assurer le collage il est toujours possible de payer quelqu’un qui le fera. On peut même négocier ça avec le gars qui travaille pour les concerts, éventuellement, sans être pour autant obligés de l’embaucher sous CNE. Tous les comités locaux ont un budget affichage, pourquoi ne pas s’offrir quelques sucettes bien placées ? Après avoir collé des milliers de feuilles A3 et A4 dans toute la ville pendant un an un constat s’impose : c’est beaucoup de travail pour un résultat très limité. Le format est trop petit et les emplacements mal situés ; qui regarde sur les côtés en marchant dans les rues ? On a pourtant essayé plusieurs formules avec des dessins et du papier de différentes couleurs pour attirer l’oeil. Mais même comme ça la visibilité est très faible. Il vaudrait donc peut-être mieux se concentrer sur un petit nombre d’endroits bien placés où on ne mettrait que des très grandes affiches. Cela implique une certaine vigilance pour recoller fréquemment des emplacements que tout le monde veut avoir. Mais l’investissement en argent, en travail et en temps serait inférieur à celui qu’on fournit aujourd’hui, pour une visibilité largement meilleure. Et comme le dit la devise de l’Adie (Association pour le Droit à l’Initiative Economique) « On commence toujours petit ! ».