POUR UNE REFONDATION DEMOCRATIQUE DE L’EUROPE

Le rejet du traité constitutionnel européen par le peuple français le 29 mai, suivi, trois jours plus tard, par le « non » d’un autre Etat fondateur de la Communauté économique européenne (CEE), les Pays-Bas, indique sans ambiguïté que les fondements mêmes de la construction européenne sont désormais en question. Ce sont eux qu’il convient de remettre à plat en vue de bâtir une Europe solidaire, tant en son sein qu’avec le reste du monde et avec les générations futures. Une Europe démocratique, sociale, écologique et féministe. Une Europe internationaliste et réellement indépendante des Etats-Unis.
L’inscription des politiques européennes dans la mondialisation libérale, tout particulièrement depuis l’Acte unique (1986) et le traité de Maastricht (1992), provoque, de manière délibérée, une situation d’insécurité économique et sociale généralisée. Le primat de la concurrence « libre et non faussée » sur toute autre norme, ainsi que la liberté absolue accordée aux mouvements de capitaux, de biens et de services, ont abouti à faire de l’Union européenne un espace de « tout-marché », seulement doté de quelques correctifs à la marge.
En l’absence des mesures de solidarité et d’accompagnement financier de grande envergure qui s’imposaient, l’incorporation de 10 nouveaux Etats membres, le 1er mai 2004, a constitué un simple élargissement du marché. Elle encourage et même organise le dumping social et fiscal, ainsi que les délocalisations. Et cela au seul bénéfice des entreprises et du capital financier.
Ce sont les bases de cette Europe-là que le traité prétendait constitutionnaliser. Ce sont elles que le peuple français a massivement désavouées.
Par leur niveau de participation sans précédent à un scrutin européen, les citoyennes et les citoyens ont également signifié qu’ils n’acceptaient plus d’être dépossédés de la maîtrise de leur avenir par des mécanismes de décision européens sur lesquels ils n’ont aucune prise réelle. Ils ont très bien compris que les politiques néolibérales conduites au niveau national par les gouvernements français depuis deux décennies et celles décidées au niveau de l’Union étaient une seule et même chose, et ils ont voulu leur donner un coup d’arrêt.

Une bonne partie des classes populaires, celles qui, par le chômage, la pauvreté et la précarité de masse, sont les premières victimes de ces politiques, ont pris conscience du caractère historique du vote du 29 mai et, à cette occasion, dans l’espérance d’un changement, elles ont retrouvé le chemin des urnes. Il en va de même pour les jeunes qui se sont majoritairement prononcés pour le « non ». C’est là une grande victoire de la démocratie, mais elle témoigne en même temps de la très grave crise de la représentation politique en France et en Europe. Tout indique en effet que certaines ratifications parlementaires du traité, souvent acquises à la sauvette, sont en complet décalage avec l’opinion des citoyens. C’est en particulier le cas de l’Allemagne.

Comme le lui reprochent véhémentement les partisans du « oui », Attac a joué le rôle de fer de lance de la campagne référendaire, aussi bien dans la production des analyses et argumentaires que dans l’action sur le terrain. Les adhérents et les structures de l’association, agissant « tous ensemble », se sont mobilisés pour expliquer le contenu et les enjeux du traité. En particulier, les comités locaux d’Attac, tant par leurs initiatives propres que par leur participation à des collectifs plus larges, ont eu un rôle décisif dans le succès du « non ». Une dynamique unitaire originale, associant militants altermondialistes, syndicaux, associatifs et politiques, ainsi qu’un très grand nombre de citoyennes et citoyens sans affiliation, s’est créée à l’occasion de cette campagne. Cette alchimie étonnante a été l’une des causes fondamentales de la victoire.
Attac France a bénéficié d’une solidarité exceptionnelle de la part des autres Attac d’Europe. Les « Volontaires européens » venus d’une douzaine de pays, et qui ont sillonné la France de meeting en meeting, méritent notre reconnaissance particulière. Démentant par leur présence fraternelle les allégations calomnieuses des partis du oui, ils ont authentifié le sens de l’engagement d’Attac pour une autre Europe à construire ensemble. S’est ainsi renforcé un début d’espace public européen appelé à s’élargir.
La campagne du « oui » a été relayée par une propagande d’Etat, dotée de considérables moyens financiers venant du gouvernement français et de la Commission européenne, et agissant de conserve avec la quasi totalité des médias. Ces derniers, faisant preuve d’une partialité inouïe, ont tenté de dénaturer le sens de l’engagement d’Attac et des autres partisans du « non » démocratique, en présentant le référendum comme un plébiscite pour ou contre l’Europe, alors qu’il s’agissait, à la faveur de la question posée, de dire oui ou non au néolibéralisme.
Les grands médias ont présenté le « non » comme une démarche pathologique, et répercuté à satiété quelques-unes des injures tirées du bestiaire de certains ténors du « oui » : « moutons noirs », « singes savants », « serpent », etc. Le plus extraordinaire est qu’ils continuent sur le même registre depuis le 29 mai, comme si le peuple français n’avait pas tranché ! Leur fiasco a été total. Non seulement ils ont piteusement échoué à convaincre, mais ils ont été contraints, comme l’ensemble du camp du « oui », ou bien de fuir les débats contradictoires « traité en main » ou bien de se battre à contre-emploi sur les thèmes imposés par notre campagne : droits sociaux, services publics, démocratie - en un mot la question néolibérale - et indépendance envers les Etats-Unis. A la crise de la représentation politique, s’ajoute de manière spectaculaire la crise de la représentation médiatique. Il n’est désormais plus possible d’occulter le rôle du système médiatique dans la promotion active du modèle néolibéral.

Malgré l’arsenal déployé à son service, le néolibéralisme a subi un échec cuisant. De tous les pays d’Europe et des autres régions du monde, affluent les témoignages de joie et de sympathie provenant des Attac et d’autres mouvements sociaux. Ils considèrent légitimement que notre victoire est aussi la leur. Un grand espoir est né, qui dépasse largement le cas de la France, et le premier devoir de toutes celles et tous ceux qui ont contribué à la victoire du « non » démocratique, antilibéral et européen - majoritaire au sein du camp du « non » -, est de ne pas le décevoir.
Dans les jours, semaines et mois à venir, Attac mettra tout en ¦uvre pour être à la hauteur de ce défi - celui d’une refondation démocratique de l’Europe -, aussi bien dans ses activités spécifiques que dans celles auxquelles elle participera dans des collectifs unitaires.
Les échéances se situent à court et moyen terme. En premier lieu, il importe de saisir l’occasion du Conseil européen, prévu les 16 et 17 juin à Bruxelles, pour réaffirmer aux chefs d’Etat ou de gouvernement des Vingt-Cinq l’opposition résolue à la « Constitution » non seulement des Français, mais aussi des autres forces européennes en lutte contre le néolibéralisme.
Le 16, une délégation des principaux responsables de ces forces demandera à être reçue à l’ouverture des travaux du Conseil. Le 17, une manifestation européenne aura également lieu à Bruxelles pour la justice fiscale et les taxes globales, et contre les paradis fiscaux et judiciaires. Programmée de longue date, cette manifestation acquiert une signification particulière dans la conjoncture créée par les « non » français et néerlandais : elle vise en effet directement la logique profonde du traité constitutionnel.

Le 16 juin, les Attac d’Europe se réuniront également à Bruxelles pour mettre au point leur stratégie et les méthodes d’élaboration de positions communes dans la perspective des initiatives européennes à venir :

  • Forum social méditerranéen à Barcelone, du 16 au 19 juin ;
  • Rassemblement européen des mouvements sociaux à Paris les 23 et 24 juin ;
  • Engagement solidaire des Attac d’Europe envers les Attac des pays où est prévu un référendum dans les prochains mois : Luxembourg, Portugal, Danemark ;
  • Tour d’Europe d’Attac France pour expliquer dans les principales villes le sens du « non » français et empêcher qu’il soit caricaturé par les médias ;
  • Convention des Attac d’Europe à l’automne
  • Forum social européen du printemps 2006 à Athènes.
    Au plan français, Attac participera au collectif national unitaire qui s’est mis en place pour le « non » et ses suites. Dans ce cadre, sera arrêtée l’organisation de manifestations le 16 juin, à Paris et dans les régions, en parallèle à celles de Bruxelles, pour exiger une renégociation du traité et des mesures immédiates à prendre par le Conseil européen. Au premier rang de ces mesures, figurent :
  • la demande expresse à faire à la Commission de retirer immédiatement ses projets de directives sur la « libéralisation » des services ; sur le temps de travail ; sur les aides publiques aux entreprises ; sur le « paquet ferroviaire », et d’une manière générale, de renoncer à toutes les autres mesures de libéralisation en cours ;
  • une augmentation très significative du budget européen afin, grâce aux fonds structurels, de remettre le plus vite possible au niveau des moyennes communautaires les dix nouveaux membres de l’UE. C’est le seul moyen de réaliser les nécessaires harmonisations sociales et fiscales par le haut, et non pas par le jeu du marché dans une spirale du moins-disant.
    Attac attend du président de la République et du gouvernement qu’ils soient porteurs du mandat que leur a confié le peuple français sur ces questions, et cela indépendamment de leurs positions initiales. A ne pas respecter le verdict populaire, ces autorités prendraient la très grave responsabilité d’alimenter le discrédit de la représentation politique.
    Tous les adhérents et tous les comités locaux d’Attac sont conviés à poursuivre l’énorme travail qu’ils ont déjà fourni, et cela dans cinq directions :
  • l’implication des classes populaires et des jeunes dans les débats citoyens
  • à court terme, et dans un cadre méthodologique qui leur sera proposé, l’élaboration du contenu d’une renégociation du traité ;
  • au-delà, l’élaboration du projet de refondation démocratique d’une autre Europe. La suppression du chômage en constituera l’axe majeur. A cette fin, Attac vient de créer un groupe de travail ad hoc, ouvert à tous, et chargé d’élaborer des propositions précises ;
  • l’élaboration d’alternatives au néolibéralisme dans la perspective des échéances électorales de 2007. Les trois niveaux de ces alternatives - national, européen et mondial - sont indissociables ;
  • la constitution, comité par comité, d’une « mémoire » de la campagne : actions de tous ordres menées en propre et dans les collectifs, tracts, affiches, expositions, rencontres-débats, meetings, interventions dans les médias, etc. Une fois rassemblés, ces journaux de campagne pourront faire l’objet d’une publication.
    Dans le même temps, les membres et les comités locaux d’Attac, à partir des propositions qu’ils auront définies, et qui seront coordonnées nationalement, sont invités à développer et élargir la dynamique unitaire en participant aux collectifs, aussi bien pour les actions à mener (notamment le 16 juin) que pour les propositions à dégager en commun.
    Dans leur participation à ces collectifs, les militants d’Attac veilleront à ce qu’ils soient unitaires sans aucune exclusive, et qu’ils rassemblent largement, au-delà des seuls partis politiques, les syndicats et les associations. De même, ils se refuseront à ce que ces collectifs se transforment en structures de recomposition partiaires ou en futurs comités de campagnes électorales. Par ailleurs, ils sensibiliseront ceux de leurs membres qui ne le sont pas déjà aux campagnes contre les diverses facettes de la mondialisation libérale dont les politiques européennes ne sont que des déclinaisons régionales : dette, paradis fiscaux et taxes globales, AGCS, OGM, eau, etc.
    Enfin, dans toutes leurs activités, ils s’efforceront de mobiliser à leurs côtés les citoyens qui ont voté « oui » en croyant rapprocher l’heure de l’Europe sociale et combattre le néolibéralisme. Ils ont toute leur place dans les grands combats qui s’annoncent.
    Pour prolonger la victoire du 29 mai et pour en remporter de nouvelles, Attac a besoin d’être encore plus forte, donc d’accueillir de nouveaux adhérents. Nombre de citoyennes et de citoyens ont pu constater sur le terrain le dynamisme et la créativité de l’association, son impact sur la vie de la Cité et la part qu’elle a prise dans le succès du « non ». Ils devraient être nombreux à songer à nous rejoindre et il nous appartient de tout faire pour les y inciter.

Attac, Montreuil, 5 juin 2005.