Les précaires de la recherche sont loin d’être sauvés !

Chouette, pourrait-on se dire : le nombre de thésards a monté en flèche depuis 15 ans. Mais résu­mons à présent leurs perspectives ordi­naires : seul 1/3 travaillera dans la re­cherche et l’enseignement supérieur, la moitié sera en situation précaire un an après la thèse (chômage, post-doctorat, ATER) et 1/5iè ne pourra jamais prétendre à un emploi stable, grossissant un peu plus la masse des « circuits d’attente ». Et face à cela : des postes en nette diminution dans presque tous les organismes publics fran­çais de recherche, avec des départs en re­traite non remplacés (la moitié des ensei­gnants-chercheurs et chercheurs du public part à la retraite d’ici 2012 !). Ajoutez égale­ment une grosse pincée de précarité de mieux en mieux installée : plus du quart des chercheurs sont sur des postes précaires, voire en situation illégale de travail pour près du dixième d’entre eux. Le cas du thé­sard est à bien des égards significatif de la situation : des bons petits, prêts à tout accepter (horaires surchargés, conditions de travail dangereuses, fraude scientifique, harcèlement sexuel...), prêts à taire certains résultats ou à éviter certains thèmes « gênants », dans l’espoir tenace d’avoir un poste. Même chose pour le CDD, « stimulé » par l’angoisse de garder le poste ou d’en retrouver un autre. Beaucoup plus rentable que des titulaires ou techniciens, dont le nombre diminue d’ailleurs dangereusement.

Une des escroqueries du système de recrutement dans la re­cherche et l’enseignement supérieur en France est de faire croire qu’il est basé sur la « qualité intrinsèque » des candidats. Serait-ce à dire que seuls 1/3 d’entre eux sont aptes à la recherche et l’enseignement supérieur, après 6 à 7 années de bons et loyaux services ? Mais que dirait-on d’une entreprise qui prend des jeunes en formation et ne réussit même pas à former le quart d’entre eux ? Et n’oublions pas que tant qu’il s’agissait de faire un travail sous les ordres de quelqu’un, les organismes de re­cherche les ont trouvé tout à fait aptes. Restent les entreprises privées, affirme le gouvernement. Oui, mais à condition qu’elles embauchent net­tement plus (ce qui est loin d’être le cas actuellement !) et surtout à condi­tion d’accepter de subordonner ses re­cherches aux impératifs de profits des firmes ?Car là est la question : la re­cherche ne doit-elle pas rester avant tout un service public, non asservi à la rentabilité économique et aux intérêts des firmes privées ? C’est en tout cas loin d’être le cas actuellement : le déve­loppement grandissant des bourses de thèse et plus généralement des contrats de recherche avec le privé sont en plein boom, face à la réduction drastique des financements publics à la recherche. Et en attendant continue la fuite des cer­veaux, courtisés notamment par les la­bos américains (plus financés par le pu­blic qu’en France, contrairement à ce qui est souvent colporté). Tandis que la course à la publication et l’ultra-compé­tition engendrent un appauvrissement des thèmes de recherche, puisque seul un titulaire peut prendre des risques.

Face à cela, quelles revendications ?

Tout d’abord une nette inflexion de la courbe toujours plus décroissante des recrutements publics dans la recherche et l’enseignement supérieur. Ensuite, un nouveau dialogue entre recherche et mouvement sociaux : la recherche pu­blique n’a-t-elle pas plus d’intérêts com­muns avec les mouvements sociaux qu’avec les entreprises privées ? Ne peut-on pas imaginer un contrôle démo­cratique des grands axes de re­cherche ? Ainsi, préfère-t-on développer de nouveaux OGM, comme on le fait ac­tuellement, ou étudier leur impact sur l’environnement ? Préfère-t-on investir dans les énergies renouvelables ou dans le retraitement des déchets radio­actifs ? Enfin, la troisième revendication essentielle est la reconnaissance de la recherche scientifique comme bien commun de l’humanité : rien ne peut justifier la propriété intellectuelle sur des découvertes fondamentales.

Que sont devenues ces revendications après le mouvement de printemps des chercheurs ?

Si les médias ont tous qualifié l’issue du mouvement de « grande vic­toire », la situation n’a pas tellement changé. Le porte-parole de l’associa­tion Sauvons la recherche ! reconnaît (dans les colonnes du Monde) être inquiet. En effet, si le gouvernement a accepté de rendre les postes qu’il avait supprimés, il n’a pas encore créé les 1500 postes promis dans les facs et reste évasif sur le remplacement des dé­parts en retraite. De même, le gros rapport que les chercheurs (surtout titu­laires) ont rédigé après les États-Généraux de la recherche a été utilisé par le gouvernement qui a enlevé demandes sociales et pioché ce qui l’intéressait. Sur les conclusions même de ce gros rapport, les jeunes chercheurs ont des doutes, lui reprochant d’avoir atteint un consensus acceptable par toute la communauté scientifique mais la laissant également sur sa faim. Ce rapport contient certes des avancées importantes, mais bloque quelque peu sur les revendications que nous avons avancées : le contrôle citoyen est demandé sans en définir les modalités, et un discours ambigu est entretenu sur le prob­lème de la marchandisation de la recherche. Il plane même le risque de l’instauration de CDD quasi incontournables de 3 ans après la thèse.

Ce débat se situe évidemment dans un cadre bien plus large de marc­handisation des services publics et de précarisation de la fonction publique, en particulier dans l’enseignement supérieur : création de pôles de compétences sous couvert de LMD, menace de ségrégation des enseignants-chercheurs en classes de mérite (rapport Belloc), diminution progressive mais certaine de l’ensemble du personnel public enseignant ? Cette situation de­vrait se clarifier dans les prochains mois avec l’adoption de la loi d’orientation et de programmation de la recherche. Espérons que les luttes sociales seront au rendez-vous pour faire face à la précarité montante ?

Sam (Paris) et Aurélie (Dijon)