L’Europe et ses migrants : ouverture ou repli

L’Europe et ses migrants : ouverture ou repli ? C’est sur cette question que la section d’Attac Sciences Po a ouvert son cycle de conférences, le 29 octobre dernier. Invités : El Mouhoub Mouhoud, chercheur au CNRS et professeur à Dauphine, et Gilles Lemaire, ancien secrétaire national des Verts et membre du bureau d’Attac France. Ils ont donné leur diagnostique des politiques migratoires européennes devant un auditoire d’une cinquantaine d’étudiants, en amphithéâtre Jacques Chapsal.

En début de soirée, l’intervention de M. Mouhoud a offert au public une lecture inhabituelle de l’immigration : celle d’un économiste. Une analyse qui a le mérite de mettre à bas bon nombre de clichés. Ainsi, le chercheur a critiqué sévèrement le discours de Nicolas Sarkozy sur l’immigration choisie. Celui-ci se fonde sur l’idée de sélectionner les migrants en fonction de leur qualification. Or les statistiques montrent que la qualification des migrants a augmenté de 50% dans les pays de l’OCDE au cours des dernières décennies. Si ceux-ci sont vus comme sous-qualifiés, c’est donc par une confusion entre leur statut juridique lorsqu’ils sont en situation irrégulière et leur niveau d’éducation. Au contraire, les migrants s’autosélectionnent très fortement en raison du coût élevé de l’émigration en termes d’insertion. Ils mettent en place une stratégie d’adéquation de leur qualification avec le marché du travail des pays d’accueil, ce que prétendent faire à leur place les politiques d’immigration choisie.
Par ailleurs, une telle politique ne colle pas avec le régime d’immigration français, qui tend à converger vers le modèle sud-européen d’immigration de masse. En effet, la France a maintenu ses spécialisations dans des secteurs intensifs en travail non qualifié, bien qu’elle y ait perdu en avantages comparatifs ; ajouté à la demande de travail dans le secteur des services, ce besoin de main d’œuvre est fondamental pour notre économie. Ce n’est donc que pour séduire une partie de l’électorat populiste que, selon M. Mouhoud, Nicolas Sarkozy défend un tel discours.
Dès lors, les réponses apportées aux questions migratoires ne peuvent être satisfaisantes. Elles reposent sur deux piliers : la répression et le codéveloppement. Répression qui se traduit par la création de centres de rétention administrative, la multiplication des expulsions, l’idée que les réfugiés seraient en partie des illégaux… En bref, une criminalisation des migrants, justifiée par le recours au terme flou de codéveloppement. Ce dernier, M. Mouhoud le résume non sans ironie : « on espère que miraculeusement des entreprises aillent s’installer dans les pays de départ, qu’ainsi les gens vont rester chez eux, et qu’on va pouvoir aider les migrants à y retourner ». Or cette logique contourne un problème crucial : la première source d’entrée de devises des pays en développement vient des expatriés. Si l’on augmentait de 10% la sélection des migrants, on provoquerait une baisse de 1,5 points de PIB de ces transferts de fonds. Or des études montrent qu’ils permettent notamment un recul de la pauvreté transitionnelle et du travail des enfants…

C’est sur ces constats que Gilles Lemaire a opéré la transition avec les politiques migratoires européennes. Rappelant les principales étapes de mise en œuvre de la politique d’immigration choisie en France, depuis le passage de M. Sarkozy au ministère de l’Intérieur jusqu’aux lois du nouveau ministère de l’immigration et de l’identité nationale, il a montré que la France n’est qu’un pivot d’une initiative concertée au niveau européen. Celle-ci a pour grandes lignes le durcissement du regroupement familial, la surveillance des frontières par le biais de l’agence Frontex, et l’expulsion des clandestins. Cette dernière priorité se retrouve dans la directive retour du 18 juin 2008 ; celle-ci permet-elle de refouler les migrants, y compris s’ils sont mineurs, et inaugure surtout le renvoi vers les pays par lesquels ils ont transité… Une complémentarité s’est ainsi mise en place entre les politiques européenne et nord-africaine : l’immigration vers des pays européens est aujourd’hui sanctionnée par des peines d’emprisonnement au Maghreb !
Pour M. Lemaire, qui a déploré l’instrumentalisation des questions d’immigration et décrié le choix de Vichy pour la tenue d’un sommet européen sur le sujet, il n’y a que deux réponses possibles. La première est positive : c’est une raison humaniste, qui pousse à une politique d’accueil, d’ouverture et de solidarité, dans un monde où les marchandises et les capitaux circulent librement, mais non les hommes. La seconde est négative : il est simplement impossible de maîtriser l’immigration, comme le prouvent les 400 à 600 000 irréguliers vivant en France. D’autant que la politique d’objectifs chiffrés d’expulsions conduit à des aberrations : ainsi des Roumains ont-ils été expulsés en décembre 2007, à la veille de leur entrée dans l’Union Européenne…

Les deux intervenants ont terminé par un débat avec leur auditoire. Si Gilles Lemaire a rappelé que l’identité française n’est historiquement basée sur aucune pureté ethnique mais sur l’adhésion à des valeurs communes, El Mouhoub Mouhoud a tenu a donner quatre pistes concrètes pour une meilleure politique d’immigration. Tout d’abord, il préconise en relâchement de la contrainte sur les non qualifiés, une politique trop sélective, non adaptée à notre régime d’immigration, risquant de renforcer la trappe au sous-développement en accentuant le brain drain (fuite des cerveaux). En second lieu, il conviendrait d’abaisser le coût des transferts de fonds, en supprimant le monopole de la Western Union sur ces transactions, qui prélève le taux énorme de 20%, scandaleux dans un contexte de réduction généralisée des tarifs douaniers. Troisièmement, il ne faudrait pas oublier les pays de départ et dénoncer leur responsabilité en matière d’inégalités ; en effet, l’émigration se décide à partir de comparaisons internes. Enfin, il conviendrait de lutter contre le brain waste (gaspillage des cerveaux), en procédant au reclassement des migrants qualifiés.