UN REGARD ALLEMAND SUR LE TRAITE CONSTITUTIONNEL

L’Allemagne souffre d’une période économiquement difficile. Le chômage a atteint un niveau record. La pauvreté augmente. La croissance est faible. Et même les progrès écologiques de la première législature du gouvernement Schröder n’ont pas continué. En revanche, le gouvernement a lancé une forte attaque contre les droits sociaux. Dans cette situation une véritable discussion sur la constitution européenne est presque impossible. La majorité des citoyens et citoyennes considère les problèmes économiques de l’Allemagne comme un problème national. La contribution significative de l’intégration européenne mal conçue n’est pas discutée. On peut dire qu’un véritable débat public sur la constitution européenne n’existe pas en Allemagne.

La première lecture de la constitution, le 24 février 2005, dans le Bundestag n’a provoqué aucun débat sérieux ni au parlement ni dans le public. La ratification parlementaire du traité va avoir lieu le 12 Mai dans le Bundestag et le 27 Mai dans la deuxième chambre. Un référendum n’est pas arrangé. Le gouvernement et l’opposition ont pris position pour une ratification sans participation, même sans information. Les citoyens et citoyennes d’Allemagne doivent accepter ce traité dommageable sans influence publique.

Les dates - 12 et 27 Mai - pour la ratification allemande sont bien choisies par les gouvernements franco-allemands. On veut livrer de la munition au Oui dans l’étape finale de la campagne en France. Selon le calcul, les français se laisseront influencer par les députés du Bundestag et voteraient donc pour le Oui. Mais sans aucun débat en Allemagne, il n’y a aucune raison de se laisser impressionner par le vote du Bundestag. Au contraire ! Puisque nous n’avons pas le droit de voter sur cette constitution chez nous, nous demandons au français d’exprimer leur Non aussi au nom de leur cousins d’outre Rhin. Aidez nous - votez Non !

Dans les mouvements sociaux allemands, le débat était faible en comparaison avec la signification du traité. Les militants dans les organisations sociales et syndicales sont occupés à la lutte pour les droits sociaux en Allemagne.

La résistance la plus visible contre ce traité était organisée par le mouvement pour la paix et par Attac. Attac Allemagne, qui compte 15.000 adhérents et plus de 100 organisations nationales parmi ses membres, s’est prononcé fortement contre le traité. Elle a organisé une conférence nationale sur ce thème et beaucoup de meetings pour expliquer la constitution. Néanmoins, les opportunités de créer un véritable débat restent limitées sans référendum. Les arguments d’Attac Allemagne sont évidemment similaires aux arguments articulés par nos camarades en France. Mais, les mouvements sociaux allemands accentuent deux sujets différemment.

Premièrement, l’article 41 dans la première partie contient une obligation à l’armement. Je cite :
« Les États membres s’engagent à améliorer progressivement leurs capacités militaires. »
C’était cette phrase du traité qui a provoqué la plupart des discussions chez nous. Après avoir commencé deux guerres, on reçoit une constitution avec une commande à l’armement. Totalement inacceptable ! Les mouvements en Allemagne demandent une Europe qui utilise ses ressources pour les objectives sociales et écologiques au lieu des projets militaires ! De plus, Attac Allemagne est sceptique sur une Europe avec des aspirations neo-impériales ainsi que sur une Europe qui veut défier le pouvoir militaire des Etats-Unis.

Deuxièmement, le traité réaffirme la relation entre l’Union Européenne et l’Euratom même si la relation serait moins étroite après la ratification du traité qu’aujourd’hui. L’Euratom demande de tous ses membres de faire avancer les énergies nucléaires. Dans les mouvements sociaux allemands, il existe un consensus pour sortir du nucléaire et développer fortement l’énorme potentiel des énergies renouvelables. Ces sources d’énergie sont tout à fait suffisantes pour satisfaire les besoins énergétiques du monde. Le traité est en contradiction avec notre objectif de sortir du nucléaire.

Après tout, le noyau dur de l’Union reste l’intégration économique. Le traité constitutionalise le libéralisme économique sans européaniser les droits sociaux ou les obligations fiscales. Ce déséquilibre est et était fixé également dans les autres traités européens (Maastricht, Nice, etc.). Mais, après la ratification de la constitution, ce déséquilibre sera encore plus difficile à changer. Pour harmoniser les droits sociaux ou les impôts il faut un consensus au conseil européen. Pour libéraliser encore plus l’économie européenne une majorité est tout à fait suffisante. C’est la réalité anti-sociale en Europe !

La pression de la concurrence internationale contre les droits sociaux est déjà forte. Dans la plupart des États européens la dimension sociale est en retraite. La différence entre les riches et les pauvres augmente. La taxation des revenues des capitaux baisse. Les services publics se trouvent dans un processus de privatisation. La précarité ou l’exclusion du travail accroît rapidement. Les acquis bismarckiens comme l’assurance-maladie, l’assurance-chômage ou l’assurance-vieillesse réduisent leurs prestations. La construction européenne limite fortement l’espace pour les droits sociaux. En même temps, la grande majorité de la classe politique est convaincue de l’idéologie néolibérale. Elle n’utilise pas les libertés de mouvement, qui restent au niveau des états nationaux face à la mondialisation, pour réformer les institutions publiques d’une façon sociale et en même temps compatible avec une économie ouverte. Les élites politiques préfèrent se servir de l’espace européen pour créer
des contraintes matérielles et juridiques afin de rendre politiquement possible la destruction des états providence que la majorité des citoyens veut défendre. Les gouvernements nationaux ne sont pas victimes de l’européanisation néolibérale mais ils sont ses architectes !

Pour mettre en cause les droits sociaux en Europe, il n’est pas nécessaire de prendre une décision européenne. Il suffit de renforcer de plus en plus la liberté du flux des capitaux, la liberté totale pour le commerce même dans le secteur des services et la liberté d’installation pour les entreprises. Plus l’économie s’européanise, plus l’espace national pour les droits sociaux et écologiques se réduise.

Cette situation met en danger la vision d’une Europe réunie. Il est improbable que les citoyens et citoyennes acceptent ce démontage social. Les conflits sociaux, qui ont déjà commencé et qui viendront, sont en fait le plus important danger pour l’intégration européenne. Il est impossible de satisfaire les aspirations sociales des citoyens et citoyennes et de construire en même temps une Europe sur la base du libéralisme économique. C’est pour cela que les vrais ennemies de l’intégration européenne ne sont pas les adversaires de l’Europe néolibérale mais ceux qui veulent européaniser le néolibéralisme.

Quoi faire ? Il y a deux démarches possibles pour sortir de cette intégration économique antisociale : soit on renforce les régulations nationales au détriment de l’intégration internationale, soit on internationalise les régulations sociales, écologiques et fiscales.

Les signes de la première démarche, la renationalisation, sont déjà visibles avec les nouveaux succès de l’extrême droite en Europe. En Allemagne les succès des partis NPD et DVU avec un discours néo-national-socialiste sont extrêmement inquiétants. Ils demandent un protectionnisme économique fort afin d’obtenir de l’espace pour les droits sociaux garanti par un état également fort, bien sûr seulement accessible pour les allemands de couleur blanche. Au fond, la construction néolibérale de l’Union Européenne se tourne contre l’unification de l’Europe elle-même. Cette construction néolibérale peut facilement mettre en danger les avantages historiques de l’intégration en Europe ! Il est à nous en tant que citoyens et citoyennes à défendre l’Europe et ses progrès historiques !

La deuxième démarche est l’internationalisation, et notamment l’européanisation, des régulations sociales et fiscales. L’Europe du marché doit être complétée par l’Europe sociale et écologique. Sans ces mesures, la maison européenne reste une maison sans toit.

À vrai dire, les deux idées semblent toutes les deux irréelles aujourd’hui. La renationalisation de l’économie est tout aussi difficile à atteindre qu’une ambitieuse régulation sociale européenne. Mais l’histoire montre que les énergies politiques créées par les divisions économiques peuvent devenir énormes et peuvent provoquer des changements sociaux radicaux. En même temps, l’histoire, en Allemagne notamment, montre que ces divisions peuvent renforcer les idéologies dangereuses, même fascistes.

C’est pourquoi la première démarche n’est pas une option pour la grande majorité des militants dans les mouvements sociaux en Allemagne. La deuxième démarche, en revanche, correspond à une philosophie internationaliste. L’idée de l’internationalisation des droits sociaux est un but clé et positif qui peut donner de l’orientation pour les mouvements sociaux dans les luttes qui viennent.

En revanche, l’idée de renationaliser les régulations et les luttes sociales me semble être une marche en arrière, un anachronisme en Europe. Elle implique pour les mouvements sociaux des alliances involontaires, douteuses et même dangereuses. C’est particulièrement vrai en Allemagne où le nationalisme était toujours de droite ou d’extrême droite.

Pour les mêmes raisons, Attac Allemagne évite d’utiliser les stéréotypes nationalistes dans les luttes sociales. Pour nous, un emploi en Allemagne a la même valeur qu’un emploi en Pologne par exemple. Il est tout à fait légitime que tous les pays européens, notamment en Europe de l’Est, veuillent s’industrialiser et vendre leurs produits. C’est pourquoi nous ne critiquons pas le processus des délocalisations lui-même mais une concurrence au détriment des droits sociaux et le soutien insuffisants aux pays de l’Europe de l’Est.

Que veut dire cela pour nos luttes contre le traité constitutionnel ?

Il faut combattre le traité, non parce qu’il contient trop d’intégration mais parce que l’intégration reste trop limitée. A mon avis, il est la responsabilité d’Attac, en tant que mouvement international et internationaliste, de lutter pour un « non » véritablement altermondialiste. Donc, un « non » pour l’internationalisation des droits sociaux. Un « non » pour une intégration plus forte pour empêcher un recul du projet européen à cause des injustices sociales.

Pour cet objectif un « non » français sera le meilleur « non » possible car un « non » dans un état fondateur et avec une position clé comme la France sera un « non » qui ne s’oppose pas à l’intégration européenne mais à une intégration presque purement économique. Votre « non » est une véritable opportunité pour l’Europe ! Juridiquement, on ne perd presque rien si ce texte n’est pas accepté. Mais politiquement on gagne la chance de créer un débat et un mouvement pour un Europe sociale ! Partout en Europe !

C’est pourquoi votre lutte pour la victoire du « non » en France est d’une énorme importance. En Allemagne, le gouvernement et les partis dans le Bundestag n’ont pas donné leurs citoyens et citoyennes le droit de décider eux- ou elles-mêmes. C’est pourquoi nous espérons que la majorité en France dira fortement « non » à ce traité constitutionnel et fortement « oui » à l’Europe sociale, écologique et démocratique.

Si vous votez « non » vous ne votez pas seulement pour les français et françaises mais pour la majorité en Europe qui souffert de l’Europe néoliberale et anti-sociale. Notamment, dans les pays où les citoyens et citoyennes n’ont pas le droit de se exprimer. Votre « non », c’est aussi le notre !

Je veux conclure par une modification modeste d’une citation du poète allemand Erich Fried qui est très connue dans les mouvements sociaux :

Wer will, dass Europa bleibt wie es ist, will nicht, dass es bleibt.

Celui qui veut que l’Europe reste telle qu’elle est ne veut pas qu’elle reste.