Tribune en vue de la CHIRAC ACADEMY

« Recalculés » du NON et exclus du débat télévisé " voici ce que nous dirions à Jacques Chirac ! si nous étions invités le 14 avril »

Nous qui avons été exclus du débat,
Nous qui n’avons pas le droit à la parole
Nous, les contradicteurs que M.Chirac refuse d’entendre...

  • Dans un récent accès de jeunisme, Jean-Pierre Raffarin vantait les bienfaits de la « positive attitude ». A n’en pas douter, les sondages en faveur du non doivent être rangés par le Premier ministre du côté obscur de la « negative attitude ». Difficile pourtant de ne pas être affligé devant le spectacle des lycéens méprisés par un Fillon comptant sur le pourrissement du mouvement après des semaines de lutte ; devant ce mauvais remake de X Files qui voit Hollande et Sarkozy, Fox et Mulder du oui, poser côte à côte cravatés et costumés en couverture de Paris Match ;
    devant la liste des « people », has been et happy few, réunis par l’inusable Jack Lang pour faire la leçon au
    mauvais peuple qui risque de voter non ; devant l’autre leçon, au redoutable parfum de menace, agitée par divers
    éditorialistes : « On risque un nouveau 21 avril ! », quand bien même ce sont les politiques anti-sociales menées
    depuis plus de vingt ans, au nom de l’Europe, qui poussent une part de l’électorat, dans de nombreux pays
    européens, dans les bras d’une extrême droite raciste et dangereuse ; devant les insultes, celles du ministre
    britannique des affaires européennes, Denis MacShane, traitant les partisans du non de « néo-cons » en présence
    de Claudie Haigneré, ou celles de Giscard qui exhorte les Français à ne pas se laisser « contaminer par ceux qui
    sont contre tout ».
  • L’avenir de la jeunesse européenne est- il soluble dans 448 articles, X protocoles, Y déclarations et
    2 annexes d’un traité constitutionnel qui tient plus d’un traité commercial que d’une Constitution ? Peut-on
    assujettir l’avenir de la jeunesse européenne à un texte pour lequel l’Union des industriels de la Communauté
    européenne (équivalent du MEDEF au niveau européen) se dit satisfaite qu’il « n’accroisse pas les compétences de
    l’Union européenne dans le domaine social, pas plus qu’il n’étende l’utilisation de la majorité qualifiée » ?
    Assurément NON.
  • Avec la montée du non dans les sondages, les partisans du oui sont obligés de sortir du bois, de débattre sur le fond : comme le boxeur sur un ring ils peuvent courir mais ne peuvent plus se cacher. Alors sur le fond, justement : à nous, qui sommes nés avec l’Europe, on voudrait nous faire croire que l’Europe de demain, c’est celle où « l’Union offre à ses citoyennes et ses citoyens (...) un marché unique où la concurrence est libre et non faussée » (Art. I-3), gravant dans le marbre le libéralisme économique ? Une Europe, au moment où nous nous battons pour nos lycées, nos universités, où la notion de services publics serait remplacée par celle de « Services d’intérêt économique général » (Art. III-166), soumis aux règles de la concurrence ? Une Europe où, alors qu’aujourd’hui de nombreux jeunes salariés sont soumis à des conditions de travail précaires, à la succession des intérims, stages, et CDD, le social consisterait à s’aligner sur une charte des droits fondamentaux qui reconnaît « le droit de travailler » (Art. II-175) en lieu et place du « droit au travail » et ignore la plupart des droits socio-économiques (éducation, logement, revenu minimum, sécurité sociale etc.) ? Une Europe des droits des femmes, celle dont la constitution ne donnerait aucun moyen effectif pour l’égalité sociale et politique, et n’affirmerait ni le droit à l’avortement et à la contraception, ni le droit au divorce, mais uniquement le droit au mariage (Art. II-69) ? Les milliers de jeunes qui ont participé aux manifestations, partout en Europe, contre la guerre en Irak, peuvent- ils acquiescer devant un texte qui prévoit une étroite coopération avec l’OTAN (Art. I-41) et engage les Etats membres « à améliorer progressivement leurs capacités militaires » (Art-I 41) ? Alors que les jeunes sont les premières victimes des discriminations, pouvons-nous accepter une Europe forteresse qui refuse l’égalité des droits à ceux qui résident en Europe sans posséder la nationalité d’un pays membre ? Et l’exigence d’écologie se réduit-elle au trompe l’œil d’un développement durable conditionné à la concurrence et à la croissance économique : « L’Union œuvre pour le développement durable de l’Europe fondé sur une croissance économique équilibrée, (...) une économie sociale de marché hautement compétitive » (Art-I 3). Et que dire d’un texte qui pour être modifié nécessite l’unanimité des 25 Etats membres, sans que nous, Européennes et Européens, ne puissions l’exiger directement ? Que dire d’un texte qui ne nous permet pas d’exercer un véritable contrôle démocratique sur les instances exécutives de l’Union ? Que dire si ce n’est que nous n’en voulons pas !
  • Bien des raisons d’être « négatif »... Pourtant, notre NON n’a rien à voir avec le ressentiment, comme celui des
    Le Pen, de Villiers et consorts qui jouent sur les sentiments xénophobes, nationalistes, anti-européens ; ni avec la peur comme ceux, partisans du oui comme du non, qui mènent une campagne anti- turque ignoble. C’est l’espoir
    qui nous conduira à voter NON le 29 mai prochain, comme celles et ceux qui ont signé l’appel des 200 jeunes contre le traité constitutionnel. Un espoir symbolisé par la formidable dynamique des Forums sociaux européens, de Florence, de Paris Saint Denis, de Londres, un espoir puisé aussi dans les luttes des lycéens, des précaires, des
    salariés, des chercheurs et des profs, dans la jeunesse des manifestations anti Le Pen, altermondialistes et antiguerre,
    dans la Marche mondiale des femmes. L’espoir que notre NON permettra de construire sur de nouvelles bases une Europe sociale, démocratique, solidaire avec les peuples du Sud, écologique, féministe. Après le NON , rien ne sera joué, mais tout sera possible pour construire une autre Europe : nous ne vivons pas dans Disneyland, mais nous voulons éviter Bolkestein. Nous ne comptons pas sur Chirac et Raffarin pour renégocier le traité, et nous savons qu’aucune constitution démocratiq ue ne verra le jour sans une mobilisation des peuples, sans des luttes sociales : un NON majoritaire est la première étape dans ce processus de réappropriation démocratique et sociale de l’idée européenne. Aussi déterminés qu’Hillary Swank dans Million dollar baby, nous voulons mettre KO le oui cynique, le oui désabusé, le oui naïf, le oui libéral ou anti-turc, le oui pseudo moderne et faussement progressiste. Alors, vive le NON de gauche !

Nadia Benhelal Coordinatrice générale de la Fondation Copernic-, enseignante

Maxime Combes Attac-Campus, étudiant Ensae

Sylvain Pattieu Appel des 200 enseignant