« La Otra » : l’Autre campagne mexicain

Début juillet 2006, l’élection présidentielle mexicaine se terminait par une remise en doute du résultat final sur lequel planent des soupçons de fraude. La campagne qui précéda cette élection ne fut guère différente de toutes les autres, à ceci près qu’elle vit se développer en parallèle, une « Autre Campagne », lancée par l’EZLN (Armée Zapatiste de Libération Nationale). Il est intéressant pour nous de comprendre comment les zapatistes ont construit cette autre campagne, afin d’engager une réflexion sur l’utilisation que nous allons faire dans les prochains mois du Manifeste d’Attac, dont la problématique est finalement plutôt proche de l’Autre campagne impulsée par l’EZLN.

 L’ « Autre Campagne »

En juillet 2005 sort la Sixième Déclaration de la Forêt Lacandone, dans laquelle les zapatistes tirent un bilan de leur lutte, de la situation mexicaine et mondiale, et dressent des perspectives d’avenir. Quelques mois après leur soulèvement, le 1er janvier 1994, les zapatistes avaient décidé d’abandonner la lutte armée offensive, en raison des demandes de certains « frères er soeurs de la ville ». L’EZLN a alors pris le parti du dialogue, avec la population mais aussi avec le gouvernement (qui n’a jamais donné suite aux accords issus des négociations). C’est dans la même logique que les Zapatistes ont annoncé dans la sixième déclaration leur projet d’Autre Campagne, afin de rencontrer « ceux d’en bas », d’engager un large débat, une écoute même, de la société civile.
Cette déclaration marque le début des premières séries de rencontres avec divers acteurs de la société civile (essentiellement, dans un premier temps, des associations, syndicats, collectifs, etc.) destinées à préparer l’Autre Campagne, « ce qu’elle est, ce qu’elle doit être et ce qu’elle ne doit pas être ». Le projet de la « Otra » est de construire, durant la campagne présidentielle mexicaine, une « alter campagne », c’est-à-dire de lancer, loin des discussions politiciennes sans fonds ni changements, un véritable débat public, sur des problèmes auxquels les campagnes électorales que nous connaissons ne touchent plus. C’est ainsi un moyen de permettre aux citoyens de se réapproprier un débat confisqué.

Mais l’Autre Campagne, c’est aussi une démarche plus large des zapatistes visant à élargir leurs luttes, notamment en appelant le peuple mexicain à se rallier à la Sixième déclaration, de construire ensemble un réseau de résistance et de travailler à l’élaboration du « Programme national de lutte, de gauche et anticapitaliste ».
C’est ainsi que le sous-commandant Marcos et quelques un-e-s des commandant-e-s de l’EZLN ont effectué à partir de janvier 2006, une tournée à travers le Mexique, pour écouter la parole de ceux qui luttent, avec la volonté de ne pas faire de cette autre campagne qu’une tournée zapatiste (d’où le nom pris par Marcos - le « Délégué Zéro »). Le voeu des zapatistes est de construire ainsi une alternative « par en-bas et pour en-bas », en recueillant la parole du peuple mais sans se poser en porteur de bonne parole. C’est tout le sens du travail de définition et de consultation prélable mené par l’EZLN.

Mais cette Autre Campagne a été marquée par les féroces répressions de l’Etat mexicain envers ceux qui y ont participé. Plusieurs militants, syndicalistes ou étudiants pour la plupart, ont été assassinés après leur participation aux réunions dans le cadre de l’Autre Campagne. Les plus violentes et sanglantes exactions des forces de police et de l’armée mexicaine eurent lieu à San Salvador Atenco, le 3 mai 2006, puis à Oaxaca, mi-juin.

 S’inspirer de l’autre campagne

L’Autre Campagne représente évidemment une autre façon de faire de la politique, mais aussi de penser le débat public, et ce à bien des niveaux. Cette nouvelle façon de poser un certain nombre de questions et de s’inscrire, tout en la détournant, dans une campagne électorale a inspiré des projets en France. C’est notamment le cas de l’initiative « Voter Y », qui vise « la réappropriation du débat politique par les citoyens et à porter dans les campagnes électorales à venir des questions et propositions qui risqueraient d’être ignorées au profit de la seule compétition des personnes », qui devraient voir se dérouler durant la prochaine campagne présidentielle une série d’ « auditions civiques ».

Mais la manière qu’ont eu les zapatistes de poser le débat public et la « Otra » lors de la campagne mexicaine pourrait aussi nous servir de réflexion quant à l’utilisation que nous ferons du Manifeste d’Attac, en cours de réalisation et qui doit être présenté lors de la prochaine Université d’été, à Poitiers, fin août. Le projet du Manifeste est en effet de « faire des échéances électorales françaises de 2007 et 2008 un grand moment de débat public sur les ruptures nécessaires avec les politiques néolibérales ». Pourquoi ne pas dès lors nous appuyer sur l’exemple de campagne politique alternative que représente l’Autre Campagne pour réfléchir à l’utilisation du manifeste ?

Ce serait peut-être une piste judicieuse, notamment quant à sa nature : le Manifeste ne serait en aucun cas une liste de propositions « clé en main » mais une base à soumettre au débat. Attac permettrait ainsi d’amorcer un débat avec la population et les candidat-e-s en proposant sa vision sur certains points fondamentaux pour sortir du néolibéralisme. Un Manifeste d’éducation populaire offrant à la population de nouvelles armes pour comprendre leur environnement économique mondial ; un Manifeste tourné vers l’action en tentant de placer les thèmes de la campagne électorale sur le terrain des politiques économiques menées aux niveaux de la France, de l’Europe et du monde.

Car cette « Autre Campagne » serait finalement l’occasion non seulement de promouvoir et de porter au débat les alternatives (construites et à construire) au néolibéralisme, mais bien plus, de le faire sous une nouvelle forme, en bref de réinventer nos manières de faire de la politique en ne produisant pas seulement du discours mais en construisant discursivement les possibles alternatives au néolibéralisme.


Plus d’infos :

Et aussi (comme première traduction concrète en France) :

  • www.voter-y.net/ : L’autre campagne : L’atelier de préparation de l’Autre campagne est ouvert sur le site. Il présente les auditions civiques de personnes porteuses de propositions et de constats importants pour le débat politique. Le compte-rendu de la réunion plénière du 7 mars 2006 qui a discuté de la préparation de l’Autre campagne est en ligne.
  • http://marseille.indymedia.org/feat... : En parallèle aux FSM, un Espace Zapatiste sera ouvert, à Marseille, rue d’Aubagne, à toutes les organisations militantes, les artistes et citoyens avec comme objectifs de : permettre une mise en réseau avec le FSM de Bamako, organiser des rencontres, ateliers, débats et proposer le lancement d’une Autre Campagne en France. Le tout autour de repas collectifs et concerts.