Le droit à l’information, un bien commun à reconquérir

Dossier Europe

  Le droit à l’information, un bien commun à reconquérir

En 2005, le peuple français a dit NON,
non seulement aux élites politiques et
à l’union sacrée Hollande-Sarkozy,
mais aussi à la sainte alliance des rédactions
de journaux.

Dans le traitement de l’information par les
médias, il faut distinguer la période précédant
le vote de celle de l’après 29 mai pendant laquelle
éditorialistes et intellectuels pour médias
déclamèrent les mêmes tirades, l’amertume et
la démesure en plus. Quels furent donc les
thèmes déclinés par le choeur des élites éclairées
au cours de cette tragédie grecque ?

 Acte premier

La campagne sur le TCE, entrée en scène
du choeur des médias dominants au son de la
valse oui-ouiste...
Premier temps, les partisans du NON ne
s’intéressent pas au Traité. Olivier Duhamel
nous en donne la raison : « A gauche, il s’agit
de construire ce qu’ils appellent la gauche de la gauche, qui aille de l’extrême
gauche à la gauche du Parti socialiste
en passant par le Parti communiste
et par un certain nombre de
mouvements alternatifs, style Attac.

L’évolution de l’Europe ne les intéresse
pas » (La Tribune de Genève,
11.05.05). Comme nous l’explique
également Patrick Jarreau, le
NON est un vote protestataire : « Le
“non” est défendu par les perdants
des débats de ces dernières années
et par ceux qui sont en situation d’opposition
dans leur propre parti ou
dans leur propre camp. C’est, d’abord,
l’attitude protestataire par excellence
 » (Le Monde, 04.02.05).

Deuxième temps, le TCE c’est
l’Europe et dire NON au Traité, c’est
nécessairement être anti-européen.
Dès lors, on dramatise l’enjeu : « Voter
non, c’est stopper une dynamique
au pire moment, sans doute, de l’histoire
du monde » (A. Genestar,
Paris Match, 24.03.05). Et Jean
Daniel nous rappelle que « la merveilleuse
légende de l’Europe [constitue]
le seul éclair apparu dans les ténèbres
de l’histoire depuis qu’elle
existe » (Le Nouvel Observateur,
25.11.04). On revisite alors les
contes pour enfants : tel le Petit Chaperon
Rouge se promenant
insouciant dans la forêt, « le « oui » a
la discrétion d’une violette cachée
dans les herbes folles de tous les
mécontentements et de tous les tapages
 » (A. Genestar, Paris Match,
24.03.05). Le NON, lui, n’est
qu’« une pollution, une mystification
et un mensonge, une piscine sans
eau, de l’agitation d’analphabètes »
(M. Rocard, Journal du Dimanche,
13.02.05).

Troisième temps : le NON, c’est le
repli, donc le racisme, la xénophobie, voire l’antisémitisme... Ce fut l’argument
fondamental de la fin de campagne.
Le chroniqueur Patrick Jarreau
explique que « la mode, chez
les anti-européens de gauche pourrait
se résumer ainsi : “Donnez-vous
des frissons, votez avec Le Pen !”
 » (Le Monde, 15.04.05). Et Jack
Lang lui répond : « Moi, je ne mets
pas dans l’urne le même bulletin que
M. Le Pen » (Le Figaro, 26.05.05).

Mais la plus belle réponse devait
venir de Philippe Val, cité dans Le
Nouvel Observateur du 26 mai :
« Récemment, il [Philippe Val] a revu
Shoah, de Claude Lanzmann, dans
sa continuité : “Quand je sors de ce
film, pour moi, c’est une évidence : je
ne peux pas voter non. Je ne supporte
pas que l’on considère que voter
non serait un vote pur, et oui, un
vote impur” ».

Cette rhétorique avait
été esquissée par Jean-Marie Cavada,
ancien président de Radio-
France à présent lieutenant de François
Bayrou : « Ceux qui font la fine
bouche devant la Constitution devraient
avoir en mémoire les photos
d’Auschwitz » (AFP, 22.01.05). Pendant
la campagne sur le Traité de
Maastricht, Jacques Lesourne, directeur
du Monde, y écrivait déjà : « Un
« non » au référendum serait pour la
France et pour l’Europe la plus
grande catastrophe depuis les désastres
engendrés par l’arrivée de
Hitler au pouvoir » (Le Monde,
19.09.92). La messe est dite. Bernard-
Henri Lévy résume le tout à la
veille du scrutin : « Souverainisme, chauvinisme, préférence
nationale à visage socialiste, virage nationaliste
d’une partie de la gauche tournant
le dos à sa tradition internationaliste,
crispations identitaires. Il y a, dans
l’air, quelque chose d’assez fétide » (Le
Monde, 28.05.05).

 Acte deux

Le vote. NON à 55 % ! La tragédie
des élites prend corps. Alain Minc l’avait
prédit : « Le référendum est pareil à une
« vérole » antidémocratique que la
France aurait propagée dans l’ensemble
de l’Europe » (Le Figaro, 11.04.05). Les
passions du peuple l’ont emporté sur la
raison des maîtres. Pourtant ce n’est pas
faute de l’avoir rappelé : « Le non se
nourrit de la colère, le oui de la raison »
(Ch. Barbier, L’Express, 21.03.05).
Avant même le vote, Alain Duhamel
dressait cet état des lieux : « Nous
sommes schizophrènes » (La Tribune
de Genève, 11.05.05). Ce thème de la
maladie mentale est récurrent lorsqu’il
s’agit de médiatiser les mouvements sociaux
 : Gérard Carreyrou, directeur de l’information
de TF1, définissait les
grèves en 1995 comme « un mouvement
où les fantasmes et l’irrationnel brouillent
souvent la réalité » (TF1 20H, 05.12.95).
Dix ans plus tard, ce peuple « psychotique
 » cède à nouveau à ses « fantasmes
 ». La Raison est morte ; le rideau
tombe.

 Acte trois

Le choeur vient nous livrer la morale.
Ce vote de « repli protecteur »
aux relents xénophobes et populistes
a acté la mort de l’Europe.

Serge July nous décrit cette
« émeute électorale » dès le 30
mai : « Ce sont des cris de douleur,
des cris de peur, d’angoisse et de
colère que l’électorat de gauche a poussés
dans les urnes » avec « [à] l’arrivée,
un désastre général et une épidémie de
populisme qui emportent tout sur leur
passage, [...] même la générosité » (Libération).

Du populisme au fascisme, il
n’y a qu’un pas, que Philippe Val franchit
allègrement : « Avoir admiré Staline,
Mao, Ever Hodja est non seulement amnistié,
mais devient insensiblement aujourd’hui
une preuve de sympathique
bon sens politique. Hitler, c’est trop tôt,
parce qu’on n’a pas encore la certitude
qu’il était de gauche, mais les recherches
sont en cours » (Charlie Hebdo,
01.06.05). Jean-Marie Colombani
résume ainsi les deux passions qui
animent le peuple, la défiance vis-à-vis
des étrangers et l’immobilisme : « Les
partisans du non voulaient en effet en finir
avec ce qu’ils considèrent comme le
mythe européen. Par nationalisme, par
xénophobie, par dogmatisme ou par
nostalgie, ils voulaient se débarrasser de
cette Europe qui barre l’horizon, qui dérange
les habitudes, qui impose des
changements » (Le Monde, 30.05.05).

Tandis que celui-ci met en garde contre
« l’appel d’air nationaliste et protectionniste
que le non français peut provoquer
 », Serge July prophétise ce même
30 mai : « Comme dans les illusions perdues,
plus dure sera la chute » (Libération).
Tel Eve goûtant au fruit défendu, le
peuple français a osé dire NON. L’horizon
du Paradis européen s’est assombri
pour toujours ; la Chute est proche.
Claude Imbert nous expliquait dès le 15
avril sur LCI qu’un « système de démocratie
représentative eût été plus prudent.
 » En effet, « fallait-il vraiment demander
aux Français de donner leur
point de vue sur l’économie de marché ?
[...] A quand un référendum sur le bienfondé
de la gravitation universelle ? »
(JL. Gombaud, Le Figaro entreprises,
04.04.05). Comme l’expliquait Jean-Marc
Sylvestre sur France Inter le 8 mai :
« l’économie ne donne pas matière à débat
 ».

Le quatre pages consacré aux médias,
paru dans Lignes d’Attac en juin
2003, débutait ainsi sa réflexion sur les
modes d’action pour se réapproprier l’information
 : « Une association qui entend
jouer un rôle d’éducation populaire
ne peut pas se satisfaire d’une approche
exclusivement utilitaire de la presse, la
courtisant dans l’espoir de s’en servir ».
Après la campagne sur le Traité Constitutionnel
Européen, ces questions sont
plus que jamais d’actualité.

Une vigilance critique permanente
s’impose. Le système aboutissant à ce
pluralisme de façade qui véhicule les schémas
de pensée marchands doit être
analysé afin de définir les axes d’action
pour se réapproprier le bien
commun que constitue l’information.

Alexandra (Paris)

Le travail ici présenté est nourri
des citations et analyses faites par
l’association de critique des médias
Acrimed www.acrimed.org et le journal
PLPL www.plpl.org

P.-S.

Répartition des intervenants à la télévision
avant le vote :

Toutes émissions confondues :

• du 01/01 au 31/03/05 : OUI 71% NON 29%,

• du 01/04 au 30/04/05 : OUI 65% NON 35%

JT, toutes chaînes confondues :

• du 01/01 au 31/03/05 : OUI 73% NON 27%,

• du 01/04 au 30/04/05 : OUI 67% NON 33% ;

Invités étrangers dans les émissions politiques :

• du 01/01 au 31/03/05 : OUI 100%,

• du 01/04 au 30/04/05 : OUI 100%

Source : Acrimed, repris de l’émission Arrêt sur
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