Le commerce équitable : où en est-on ?

Les statistiques le disent : la notion de commerce équitable
a le vent en poupe ! Les consommatrices-teurs
sont de plus en plus nombreux à connaître cette expression,
et beaucoup se disent prêts à acheter un paquet
de café certifié « commerce équitable », permettant aux producteurs
de vivre dignement de leur travail... Finie l’exploitation
du travail et des matières premières des pays du Sud !

Le prix des matières premières, qu’il soit fixé par la
bourse ou régulé par un accord international n’a cessé, en
terme réel, de diminuer depuis le milieu du XIXème siècle. De
leur côté, les prix des produits manufacturés que les pays
industrialisés vendent au reste du monde ne diminuent pas.
Il en résulte une détérioration des termes de l’échange, fatale
aux pays auxquels on a conseillé de se spécialiser dans la
production de matières premières pour faire jouer leurs
avantages comparatifs [cf. encadré « précisions », p10].

La notion de commerce équitable peut prendre son sens
dans ce cadre : il s’agirait de lutter contre les effets destructeurs
de la manière dont est régi le prix des matières premières.

De même que pour l’expression de « développement durable
 », qui peut signifier des choses très diverses selon les
personnes qui la prononcent, celle de « commerce équitable
 » est ambiguë. Disons que cette notion de commerce
équitable peut englober des pratiques et des projets politiques
radicalement différents, malgré des points communs...
Il y a des acteurs qui, partant du constat précédent, font la
promotion du commerce équitable afin que les consommateurs
du Nord achètent « responsable » : si je choisis des produits
respectant des critères sociaux et environnementaux, je
favorise le respect de ces critères et les entreprises devront
alors s’adapter à cette nouvelle demande et corriger leurs pratiques...

La « consommation responsable » pour intéressante
et importante qu’elle soit à un niveau individuel peut toutefois
devenir dangereuse dès lors qu’elle est pensée comme pouvant
tenir lieu de seul et unique moyen de régulation des
échanges économiques. L’horizon promis reste ici en effet celui
du libéralisme, selon lequel c’est la somme des intérêts
égoïstes de chaque acteur, entreprises et consommateurs, qui
permettra de définir l’intérêt général. A défaut d’une intervention
politique, ce sont les consommateurs qui sont tenus de
faire de leur porte-monnaie un second bulletin de vote en
sanctionnant les entreprises qui ne respectent pas des critères
sociaux et environnementaux.

Défini dans ce cadre, le commerce équitable répond à une
demande légitime, celle consistant à donner à quelques producteurs,
choisis parmi les plus défavorisés des pays en voie
de développement, l’opportunité d’augmenter quelque peu
leurs conditions de vie par un accès aux marchés mondiaux à
des conditions commerciales plus avantageuses (sachant
aussi que cette expression de producteurs « défavorisés » ne
renvoie à rien de précis, et qu’à chaque situation s’imposent
des réponses d’ordre différent...). Lorsque la rémunération du
producteur à un « juste » prix devient le seul objectif du
commerce équitable, la manière dont est organisée l’économie
mondiale devient une question sans intérêt et la notion de
commerce équitable se vide elle-même de tout revendication
politique, s’inscrivant alors dans une vision charitable du capitalisme.

Et le fait que du coton garanti équitable puisse être produit sous les auspices d’une entreprise cotonnière
(la société Dagris) qui considère comme l’une de ses
missions prioritaires la promotion des OGM (Organismes Génétiquement
Modifiés) en Afrique ne soulève alors, logiquement,
aucune question... Il y aurait pourtant lieu de se demander
s’il n’est pas contradictoire de promouvoir d’un côté l’autonomie
des communautés de producteurs par le commerce
équitable et de l’autre de promouvoir les OGM qui rendent les
paysans économiquement dépendant des multinationales semencières...

Le commerce équitable peut toutefois être porteur d’une alternative
macro-économique, si tant est que l’on repense celuici
avant tout comme une démarche. Se focaliser sur la seule
relation entre les producteurs et les clients peut être pertinent
dans le cadre par exemple des AMAP [cf. encadré, p5]. Bien
qu’intéressant ce mode d’échange ne pourra toutefois satisfaire
qu’une petite portion des besoins vitaux d’une population.
Sans une multiplication des intermédiaires inutiles, de nombreuses
filières nécessitent pourtant plus de deux acteurs. Dès
lors s’en tenir à la seule relation producteur/consommateur n’a
plus de sens... Les filières internationales, par exemple, comportent
généralement une dizaine d’intermédiaires (transformateur,
transporteur, importateur, exportateur, distributeur, etc.).
Si l’on veut parler de « commerce équitable », peut-être devrions-
nous voir qu’il s’agit avant tout de « commerce » et que
c’est de celui-ci dont on exige qu’il soit équitable, c’est-à-dire
qu’il laisse son autonomie à chacun des acteurs concernés par
le processus de production des biens et des services. Dans
cette approche du commerce équitable, il n’existe aucune raison
légitime de morceler le monde entre petits producteurs et
consommateurs, entre Sud et Nord : recouvrant une approche
globale de la réalité économique, la notion de commerce équitable
est par définition « universelle ». Il est une exigence à
l’aune de laquelle chaque acte de commerce peut être évalué.
Est-ce que chacun tire une juste rémunération de son travail ?
Quel mode de production et de distribution adopter pour assurer
l’interdépendance plutôt que l’assujettissement à l’un des
acteurs ? Quelles sont les conséquences de tel acte de
commerce pour les autres acteurs de la filière, pour les personnes
indirectement concernées par celui-ci, pour l’environnement
 ? etc.

Au rebours d’une campagne publicitaire d’une ONG promotrice
du commerce équitable en France (« Un café qui vous
fera dormir tranquille ! »), il existe un commerce équitable dont
les acteurs ne veulent qu’une chose, à savoir que celui-ci soit
au contraire un moteur d’éveil ! A moins effectivement de se
résigner à ne penser le commerce équitable que comme un
geste de solidarité internationale consistant à payer quelques
centimes de plus par produits, à la manière dont par exemple
ont été faits des dons suite aux tsunamis (c’est-à-dire pour que
les soins de premiers secours puissent être donnés à une
population en situation de grande détresse), le commerce
équitable peut être vecteur de transformation de l’actuelle
gestion de l’économie. Encore faut-il détacher la notion de
commerce équitable du seul soutien aux petits producteurs
afin que ceux-ci accèdent aux marchés mondiaux... et nous
poser la question de savoir quelles organisations de la vie économique
peuvent être les plus aptes à réaliser des principes
fondamentaux de justice (organisation démocratique du travail,
production en vue de satisfaire les besoins des territoires et de
leurs populations actuelle et future, etc.)

Le commerce équitable n’existe pas, il ne peut seulement
qu’être une exigence d’équité dans les
relations économiques... Si nous souhaitons
que le commerce équitable soit porteur
de transformation, l’urgence est d’en
examiner les contradictions par le débat
public pour en révéler les enjeux de société
sous-jacents dans le cadre des
rapports économiques dans leur intégralité.
A défaut, nous accepterions d’en
faire, au mieux, un simple pansement
apporté aux scandales les plus criants
causés par la mondialisation financière.

Nikolaz (Naoned/Nantes)